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[Littérature, surréalisme] LUCIE SCHWOB DITE CLAUDE CAHUN (1908-1944) Les paris sont ouverts, Editions José Corti, Paris, 1934, br. in-8, 32 pages. Envoi autographe signé et daté. Edition originale dédicacée à René Maublanc, 3 juillet 1934. C’est directement sous l’inspiration du surréalisme qu’elle a rédigé son premier texte marxiste, la brochure Les Paris sont ouverts (1934): "Appuyer ma thèse au surréalisme semblait aller de soi pour moi”. D’abord présenté comme un rapport interne pour la section littéraire de l’AEAR en janvier-février 1933, il a été complété pour publication avec des arguments nouveaux en février 1934. C’est une défense passionnée de l’autonomie poétique, représentée par Lautréamont, Rimbaud et les Surréalistes, contre la tentative bureaucratique de soumettre l’art à une “conformité idéologique” - illustrée par Louis Aragon, dont les poèmes célébrant l’URSS stalinienne (et la GPU!) en 1931, et l’adhésion à la politique culturelle soviétique ont conduit à la rupture avec ses amis surréalistes. La couverture du pamphlet mettait en évidence une citation d’Andr de é Breton sur l’art comme “humour objectif” - la définition du romantisme selon Hegel. Le document a un sous-texte directement politique, évidemment inspiré par l’opposition trotskyste: Claude Cahun dénonce Aragon non seulement parce qu’il avait renié sa poésie surréaliste antérieure, mais aussi par son attitude typiquement stalinienne: pour lui “tout ce qui n’a pas le visa bureaucratique est suspect, ‘fait le jeu du fascisme”. Tandis qu’Aragon, dans son célèbre poème Front Rouge (1931) appelle à “tirer sur Léon Blum” et sur les “ours savants de la social-démocratie” - un exemple typique du stalinisme de la “Troisième Période”, quand le Comintern dénonçait la social-démocratie comme “social-fascisme” - Claude Cahun appelle à une politique de front unique ouvrier, exactement comme Léon Trotsky. Au-delà de la polémique avec Aragon, c'est toute l'idéologie stalinienne, qui vide le marxisme de sa substance en le réduisant à un "matérialisme mécanique et stérile", qu'elle rejette. Elle n'a que du mépris pour le Grand Dirigeant soviétique, qu'elle traite ironiquement de "chef génial” et “maître bien aimé”. Et, surtout, elle espère que tôt ou tard, “ le prolétariat mondial brisera l’horrible enchantement, cet obscurantisme bureaucratique qui, déjà, ne se maintient plus qu’à grand renfort... d’exclusions”.

vendome, Francia